Pieter Verfaillie
Erfgoed en Visie

Auteur:

Nadine Saint-Pol, Corporate Consultant chez Group Casier, n.saint-pol@casier.be

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« Maintenir les matériaux et les bâtiments dans la boucle, même après réaffectation »

« Maintenir les matériaux et les bâtiments dans la boucle, même après réaffectation »

Erfgoed en Visie offre une nouvelle vie glorieuse au patrimoine architectural tel que les bâtiments publics, les écoles, les gares et les entrepôts, souvent situés à des emplacements privilégiés au sein des villes. « Les bons emplacements et les matériaux sont disponibles en quantité limitée. Nous ne démolissons pas, mais exploitons l’existant tout en réfléchissant plus loin que les projets et le moment présent », déclare Pieter Verfaillie, fondateur de bow architecten, qui a fusionné avec Erfgoed en Visie le 1er juillet 2024.

Erfgoed en Visie mène une politique de protection des monuments intégrée afin que le patrimoine soit non seulement préservé, entretenu et restauré, mais qu’il ait également une valeur ajoutée significative pour la société. « En combinant nos connaissances et notre expérience, nous sommes en mesure de fournir des services encore meilleurs et de développer davantage notre vision commune de la réaffectation et de la restauration du patrimoine », affirme Pieter Verfaillie. « Avec bow architecten, nous faisons désormais partie de United Experts Group, un réseau de connaissances composé de sociétés de conseil (aujourd’hui au nombre de 15) aux expertises complémentaires, dont Herbé. Cette société de conseil est spécialisée dans la reconversion de projets patrimoniaux complexes. J’ai cofondé Herbé en 2020 et j’en suis encore administrateur aujourd’hui. Nous appliquons une approche intégrale basée sur le modèle de la table ronde d’experts. »

Votre passion pour la réaffectation des bâtiments a donné lieu à une impressionnante Journée de la réaffectation le 12 mai 2024. Quel en était le but ?

Pieter Verfaillie : « À l’occasion du cinquième anniversaire de bow architecten et à l’initiative de la jeune société Herbé, Ruben Willaert et moi avons voulu rendre quelque chose à la société. C’est ainsi qu’est née la toute première Journée de la réaffectation (Herbestemmingsdag) en 2024. Nous partons du principe que tout le monde réaffecte ou réaffectera à l’avenir, car nous donnons tous une destination aux choses qui nous entourent, qu’il s’agisse des bâtiments, des vêtements, des voitures, du matériel informatique, etc. Le terme réaffectation est très large. C’est de plus en plus un dénominateur commun à tous les moteurs qui animent notre société. Le fait est que, où que nous nous trouvions, tout ce que nous voyons et utilisons autour de nous aujourd’hui se verra tôt ou tard attribuer une nouvelle fonction. Il faut éveiller les consciences à cette réalité. Avec 21 projets très divers dans toutes les provinces flamandes, la première Journée de la réaffectation a été un énorme succès. La deuxième édition aura lieu le 18 mai 2025 et nous sommes actuellement en train de la préparer. »

Pieter Verfaillie
Sur LinkedIn, vous vous décrivez comme un « spécialiste de la réaffectation axé sur des projets responsables et rentables ». Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?

« Je peux citer l’étude de réaffectation de l’église Sint-Machutus à Wannegem, une section de la commune de Kruisem en Flandre orientale. Depuis janvier 2015, les messes hebdomadaires n’ont plus lieu dans l’église et celle-ci est donc vide. Conformément à la méthodologie de recherche de l’Agence Onroerend Erfgoed, nous avons mené une étude de réaffectation en 2021. La commune nous a expliqué qu’un plan de politique ecclésiale avait été rédigé en 2016-2017, mais qu’il avait disparu au fond d’un tiroir. En 2019-2020, un bureau de conception a entrepris l’exercice de transformer l’église en église-urne sur la base de ce plan de politique ecclésiale. Un projet très beau, très serein et très approprié, mais pas économiquement viable. Cette initiative n’a donc pas obtenu le soutien de la commune ni du voisinage. Nous avons imaginé un autre scénario : l’église a pour “voisin” Heuvelheem, un organisme de soins qui soutient les personnes handicapées dans l’ancien monastère à quelques mètres de l’église. Nous avons proposé à la commune, au conseil de fabrique et à Heuvelheem de combler le manque d’espace chez Heuvelheem par l’espace disponible auprès du conseil de fabrique. Une réaffectation ne consiste pas simplement à restaurer ou à rénover un bâtiment “à l’aveugle”. Tout projet de réaffectation bien pensé et rentable est le fruit de plusieurs études approfondies sur le plan de l’urbanisme, du patrimoine, de la conception, de la programmation et des finances. L’objectif est de parvenir à un projet de restauration et de réaffectation bénéficiant d’un large soutien et étayé par des experts dans le cadre plus vaste du projet social Heuvelheem. L’aspect soin occupe ici une place centrale puisque l’église servira aux activités de jour et restera le cœur battant de la commune et au-delà. »

« Pour chaque projet de réaffectation, nous recherchons la plus grande valeur ajoutée pour notre planète, notre société, les utilisateurs actuels et futurs et les propriétaires-investisseurs. »
Pieter Verfaillie
Quelle est la probabilité que le plan directeur que vous avez élaboré pour l’église de Wannegem soit réalisé ?

« Nous avons participé à l’appel thématique de l’Agence Onroerend Erfgoed relatif aux “super primes” pour la réaffectation et la destination secondaire des églises. Le projet est arrivé en première place et l’église est aujourd’hui prête pour sa transformation. Le processus est lent, mais il n’y a certainement aucun mal à attendre un peu, même si j’avoue préférer l’action aux formalités administratives. »

Comment Erfgoed en Visie contribue-t-elle à la transition durable ?

« En recherchant pour chaque projet de réaffectation la plus grande valeur ajoutée pour notre planète, notre société, les utilisateurs actuels et futurs et les propriétaires-investisseurs. La réaffectation repose sur un principe de durabilité : réutiliser ce qui existe déjà. La Belgique et par extension l’Europe possèdent un patrimoine incroyablement riche. En tant que spécialiste de la réaffectation, nous dénonçons le fait que des générations successives arrivent sur des sites, les démolissent et les reconstruisent à leur manière en fonction de l’usage prévu. Grâce à notre expertise en matière de réaffectation et de restauration, nous savons qu’il existe à la fois un important vivier de bâtiments disponibles et une forte demande de tels bâtiments. Le tout est de trouver les bonnes correspondances. »


« Je nous compare volontiers à la spécialité estivale Ricard. En tant que spécialiste de la réaffectation, nous préparons le plateau avec la bonne quantité de Ricard, la carafe d’eau, les glaçons et le bâtonnet mélangeur. Dans le même ordre d’idée, nous abordons le marché avec des études préliminaires approfondies. Nous travaillons toujours suivant un modèle de recherche unique articulé autour de trois axes : le bâtiment (et par extension le terrain), l’utilisateur et les moyens financiers. L’utilisateur est crucial et doit fournir les ressources financières. Mais il faut que ces deux paramètres soient compatibles avec le bâtiment. Un bâtiment ne se prête pas à toutes les fonctions, encore moins lorsqu’il s’agit de monuments historiques. Si un utilisateur nous contacte parce qu’il souhaite transformer une chapelle en maison et y construire des appartements et que nous estimons que ce projet n’est pas adapté, nous n’y donnons pas suite. Notre objectif de départ est toujours de parvenir à une préservation et une valorisation maximales du bâtiment existant en lui attribuant la bonne fonction. »

Quel est le rapport avec l’économie circulaire ?

« Une réaffectation réalisée en 2025 devra à son tour être repensée dans 50 ans. Les interventions effectuées et les matériaux utilisés aujourd’hui doivent pouvoir être recyclés sans faire grossir la montagne de déchets. Chaque bâtiment est comparable à un “oignon”. Il comporte plusieurs couches. Il faut tenir compte des couches que l’on rencontre et de leur longévité, ce qui est de nos jours bien documenté. On sait par exemple qu’une cuisine durera moins longtemps qu’un revêtement de façade. Il est donc important de prévoir une bonne structure étanche au vent et à la pluie, éventuellement dotée d’une isolation de base ou plus performante. De plus, il faut bien réfléchir aux techniques mises en œuvre, ce qui n’est pas facile. Le chauffage par le sol est particulièrement complexe en raison de l’usage de colle. Tout ce qui ne garde pas les matériaux purs n’est pas circulaire, car il faut alors jeter deux ou trois matériaux assemblés. »

Que pensez-vous des objectifs de l’OVAM de réduire l’emploi de nouvelles matières premières d’environ 30 % d’ici 2030 et d’environ 75 % d’ici 2050 ?

« Les matériaux et les matières premières ne sont pas inépuisables. Je pense donc que c’est une excellente initiative. La réutilisation des matériaux est d’abord une question de bonne volonté. Vient alors la question de leur provenance, en l’occurrence le producteur des matériaux de construction. Nous avons besoin de fabricants de matériaux de construction usagés et naturels. Ils existent, mais sont plus connus dans le monde de la restauration que dans celui de la construction neuve, et restent malgré tout très rares. Aujourd’hui, les architectes demandent des permis de construire sans savoir, par exemple, quels matériaux seront utilisés en façade. Ils indiquent par exemple tout au plus qu’il s’agira d’un matériau « en plaques », mais nous ne savons pas encore de quelle « mine » – un vieux bâtiment qui sera démantelé – il proviendra. L’essentiel pour nous est de connaître la volumétrie et de savoir quelle sera son influence, notamment sur la gestion de l’eau et la désimperméabilisation des sols. C’est plus important que le type de matériau qui sera utilisé. »

Comment pouvons-nous augmenter les chances de succès des projets de réaffectation durables ?

« Les entreprises et les particuliers doivent se distancer davantage de l’idée du neuf et se concentrer sur l’importance de faire correspondre l’offre et la demande de bâtiments. Il est aussi et surtout essentiel de bien réfléchir à la destination donnée à ces bâtiments, sachant que les contextes évoluent et changent constamment. Un autre défi pour les projets de réaffectation, et certainement pour le patrimoine, est que la phase de commercialisation n’est pas toujours synonyme de vente. Il s’agit en fait d’un transfert de droits de propriété. De nouvelles formules apparaissent, comme le bail emphytéotique et la location-vente, ce qui oblige le monde financier à réfléchir à des solutions en matière de réaffectation du patrimoine. »

Votre devise est « non mihi, non tibi, sed nobis! ». Qu’est-ce que cela signifie ?

« Avec ce slogan signifiant “pas pour moi, pas pour vous, mais pour toute la société”, nous soulignons notre mission sociale. 2025 est une année importante pour Erfgoed en Visie, car nous célébrons notre 25e anniversaire. Cette année sera ponctuée d’activités liées à cet engagement social. Nous nous adressons à notre équipe, au monde extérieur et aux clients avec lesquels nous collaborons. Nous lançons l’appel NOBIS KWADRAAT 2025, par le biais duquel nous souhaitons soutenir les organisations et les promoteurs qui s’engagent de manière innovante dans la société, aujourd’hui et demain. À cette fin, nous mettons 25 000 euros à disposition d’un ou plusieurs projets patrimoniaux ayant cette finalité particulière. »

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