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Herman Wenes en Philippe Tavernier
Grensland is Circulair

Photographe:

Grensland

Auteur:

Nadine Saint-Pol, Corporate Consultant chez Group Casier, n.saint-pol@casier.be

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« La circularité requiert une collaboration entre secteurs et au-delà des frontières »
« La circularité requiert une collaboration entre secteurs et au-delà des frontières »

Avec le projet ‘Grensland is Circulair’ (Grensland est Circulaire), l’association de la zone d’activités Platform Grensland Menen-Wervik vise à élaborer des solutions collectives et circulaires en matière de gestion des déchets. Group Casier a interrogé deux initiateurs du projet à propos de leur vision de l'économie circulaire. « La circularité doit être considérée au sens large et dépasser le niveau local, elle n’a de limites que le monde lui-même », déclarent le responsable du site Herman Wenes et le consultant Philippe Tavernier.

Le projet ‘Grensland is Circulair’ (Grensland est Circulaire) vise à tester une approche globale ambitieuse en vue d’une meilleure gestion des matériaux et des déchets dans le parc industriel Grensland Menen-Wervik et les zones d’activités Klingstraat et Hoogweg à Wervik. « La prévention des déchets, la réutilisation, le surcyclage et le recyclage des déchets, de même qu'une gestion des matériaux plus efficace et plus durable sont des défis que nous tentons de relever dans ce projet », explique Herman Wenes. Il est le responsable de l'association de la zone d’activités Platform Grensland Menen-Wervik. Philippe Tavernier de 3PT Consult soutient cette association dans le cadre de la réalisation du projet ‘Grensland is Circulair’.

Comment le projet ‘Grensland is Circulair’ a-t-il vu le jour ?

Hermans Wenes : « Il y a dix ans, l’association Platform Grensland Menen-Wervik a été créée avec le soutien de la ville de Menin et de la ville de Wervik. L’objectif principal était de protéger l'ancien parc d’activités contre le vandalisme et de dissiper le sentiment d’insécurité. La recherche d’une entreprise de traitement des déchets pour le parc d’activités et la décision d’investir davantage dans la réutilisation et la circularité sont arrivées plus tard. Suite à un appel de Vlaanderen Circulair en 2019, la plateforme a soumis un projet en collaboration avec Mirom, la ville de Wervik, la ville de Menin et 3PT Consult. Celui-ci a été approuvé par Vlaanderen Circulair pour une période de deux ans, qui doit se terminer fin 2022. Le projet bénéficie également du soutien de la Province et de POM West-Vlaanderen et constitue un projet de démonstration pour l’OVAM. 2022 ne marque donc pas la fin de l’histoire, il s’agit d’une vision à long terme qui ne s’arrête jamais et dont nous souhaitons partager les expériences acquises avec d’autres associations de zone d’activités. »

Philippe Tavernier : « Un large éventail d’initiatives et d’activités simples et pratiquement viables soutiennent les ambitions de Platform Grensland Menen-Wervik afin d’évoluer vers une économie plus circulaire. L’approche collective réunissant plus de quatre-vingts entreprises sur les trois zones d’activités est tout à fait unique. Ce concept global permet d’accorder une plus grande attention à une collecte des déchets collective et circulaire plus efficace sur la zone d’activités, avec une meilleure gestion des flux de matériaux et, par conséquent, une réduction des déchets. Nous inventorions d’abord les matières premières et les flux résiduels auprès des entreprises participantes, nous nous concertons avec des collecteurs privés, des entreprises de traitement et de surcyclage. Avec cet inventaire, nous déterminons quels flux de matériaux nous pouvons prendre en charge, comment les collecter au mieux et comment ils peuvent être valorisés (en tant que matière première pour d’autres entreprises). Nous développons également un modèle financier à cet effet. Dans un même temps, les entreprises reçoivent des conseils en vue de limiter les pertes de produits et d’élaborer une politique d’achat circulaire. Créer de l'emploi local et supplémentaire pour les groupes défavorisés en faisant appel à des entreprises de travail adapté dans le cadre du développement est également l’un des objectifs du projet. »

Herman Wenes
Comment avez-vous été impliqués dans le projet ‘Grensland is Circulair’ ?

Hermans Wenes : « Jusqu’en 2015, j’occupais la fonction de directeur général de l’entreprise de travail adapté ’t Veer à Menin. J’étais particulièrement intéressé par les activités de recyclage de ‘t Veer, qui procuraient en outre un emploi utile à des personnes atteintes d’un handicap. En tant que responsable du parc d’activités de l’association Platform Grensland Menen-Wervik, j’essaie à présent d’inciter les chefs d’entreprise à adhérer au concept de l’entrepreneuriat circulaire. »

Philippe Tavernier : « J’ai travaillé pendant plus de trente ans pour GOM et POM West-Vlaanderen en tant que responsable du département Environnement et Entrepreneuriat durable. En cette qualité, j’ai développé en collaboration avec des entreprises divers projets en lien avec la durabilité, l’utilisation rationnelle de l’énergie, la gestion des zones d’activités, ainsi que la prévention des déchets et des émissions. Après avoir pris ma pension, j'avais encore envie de m’investir dans les nombreux défis posés par l’entrepreneuriat durable et j'ai créé 3PT Consult. En tant que consultant, j’accompagne les entreprises, centres d’expertise et asbl dans la transition vers la durabilité, l’entrepreneuriat circulaire et la gestion efficace des zones d’activités. »

« La circularité requiert une pensée à long terme et un nouveau sens des valeurs ».
Herman Wenes en Philippe Tavernier
Pour vous, qu'est-ce que la circularité en une phrase ?

Hermans Wenes : « Matière première un jour, matière première toujours ! Ce que j'entends par là ? Une fois qu'une matière première a été extraite, nous devons également la récupérer en tant que matière première à la fin de la durée de vie du produit. Les matières premières ne sont pas inépuisables, nous avons donc tout intérêt à les maintenir en circulation le plus longtemps possible. Il en va de même pour l’énergie : énergie un jour, énergie toujours ! Il est grand temps de réexaminer et d’adapter notre consommation d’énergie, entre autres en consommant local. »

Philippe Tavernier : « La circularité est une nécessité pour continuer à garantir l’approvisionnement en matériaux et matières premières rares, ainsi que pour offrir un avenir pérenne à notre économie. La circularité doit être envisagée au sens large et dépasser le niveau local, elle n’a de limites que le monde lui-même. La circularité doit devenir un concept reconnu à l'échelle internationale, c’est une collaboration entre secteurs et au-delà des frontières. C’est la seule manière de pouvoir créer des solutions optimales pour nos réserves limitées de matières premières et d’excipients. Cela requiert une approche en chaîne dans laquelle le consommateur joue un rôle clé. Ce dernier point constitue le défi majeur, car la plupart des consommateurs adoptent encore trop peu un mode de pensée ‘axé sur la planète’. »

Quelles sont les innovations circulaires dont vous attendez beaucoup ?

Hermans Wenes : « Le surcyclage des matériaux et matières premières devient, selon moi, une nouvelle activité, en raison de la valeur ajoutée créée avec les produits ‘mis au rebut’. Ils peuvent devenir une nouvelle forme de ‘déco design’, ce qui pourrait être du goût d’un segment important de la population. Les objets ne peuvent plus être ‘jetables’, l’économie de la réparation devient une niche. La condition est toutefois de développer, à la base, un produit qui peut être réparé, ce qui constitue un défi pour les développeurs de produits et les producteurs de machines à laver, téléviseurs... »

Philippe Tavernier : « Selon moi, nous devons évoluer vers une économie collaborative, au sein de laquelle une foreuse peut être utilisée par une rue complète par exemple. La circularité va aussi fortement augmenter à mesure que nous évoluons vers l’achat de services au lieu de produits. La numérisation, l’éclairage et la mobilité en sont quelques exemples qui peuvent jouer un rôle de pionnier. Ils inciteront les producteurs à viser la qualité et le développement de produits circulaires parce qu’ils seront confrontés à une obligation de reprise de leurs propres produits. Ils devront aussi disposer d’un meilleur modèle de revenus pour un produit de qualité qui peut être réparé ou est 100 % recyclable. La circularité devra d’abord briser le carcan des gadgets et se concentrer sur les secteurs de base de notre économie et sur les produits qui sont utilisés de manière standard dans notre société. »

Philippe Tavernier
Quel rôle jouent les nouvelles technologies dans le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire ?

Hermans Wenes : « La technologie doit soutenir la réutilisation des matériaux et en assurer la rentabilité. En permettant le traitement et le recyclage à 100 %. La robotisation et la recherche de nouvelles opportunités sont ici incontournables. Une entreprise qui nie les lois de la circularité sera rayée de la carte après cinq ans. Le passage d’un modèle économique linéaire à un modèle circulaire est donc plus qu’indispensable pour le maintien de l’entreprise et de son emploi. »

Philippe Tavernier : « La circularité signifie plus que la technologie, il s’agit d'un défi sociétal qui requiert une pensée à long terme et un nouveau sens des valeurs. Nous ne pouvons réussir que si chaque maillon de la chaîne prend ses responsabilités. Tout commence par le développement du produit : il doit être axé sur la circularité et la prolongation de la durée de vie des produits, mais il doit également privilégier l’aspect humain des conditions de travail. La qualité est plus chère à l'achat, mais se révèle rentable à l’examen du coût total de possession. C’est là que réside selon moi le défi majeur pour les grands acteurs de divers secteurs. »

Quelle application circulaire a, selon vous, un coût limité, mais un impact important ?

Hermans Wenes : « Selon moi, le point de départ de tout est le tri correct des déchets, cela ne génère aucun surcoût, mais plutôt un bénéfice. Le principe a le plus de chance de réussir s'il est introduit via le management ‘lean’, c.-à-d. en accordant une valeur maximale au consommateur et en réduisant autant que possible le gaspillage. »

Philippe Tavernier : « Nous devons à nouveau transformer notre économie du jetable en une économie de la réparation, ce qui peut en outre avoir un impact important sur l'emploi. Il est grand temps d’évoluer vers l’achat de services et non plus de produits et vers le partage des produits au lieu de tout acheter soi-même et de ne presque jamais utiliser ces produits. »

Comment sensibiliser le grand public à cette vision ?

Hermans Wenes : « Un changement de mentalité est nécessaire, afin que les entrepreneurs et entreprises qui accordent plus d’attention au respect des matières premières et de l’humain qu’au profit soient davantage mis en lumière. Le profit est nécessaire, mais la mission doit être durable et sociale, ce qui peut être mesuré à l’aide de chiffres objectifs. C’est un défi, mais qui portera ses fruits à long terme. Obtenir l’adhésion du grand public ne sera possible qu’à condition de pouvoir démontrer de manière tangible les avantages clairement prouvés dans tous ces domaines. CO2 (down), pauvreté (down), nature et planète (up), autosuffisance et responsabilité (up), prospérité et bien-être (up). »

Philippe Tavernier : « Sensibilisation, sensibilisation, sensibilisation ! La circularité doit se tailler une place entre le marketing pour des produits à usage unique toujours meilleur marché de notre société de consommation. C’est la seule manière d’inciter le grand public à se diriger vers une société durable. »

Hermans Wenes : « J’attends également une vision claire et des choix plus forts sur le plan politique. Sans pour autant faire preuve d’autoritarisme, je trouve qu’il manque un certain sentiment d’urgence chez nos politiques. Bien que l'Europe prenne de bonnes mesures, c’est encore lointain et à très long terme. »