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Rudi Maes
CEO Filou & Friends

Auteur:

Pieter-Paul Casier, COO chez Group Casier, p-p.casier@casier.be

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La marque de vêtements pour enfants Filou & Friends privilégie l’entrepreneuriat circulaire et durable.
La marque de vêtements pour enfants Filou & Friends privilégie l’entrepreneuriat circulaire et durable.

Depuis plus de trente ans, la marque Filou & Friends fabrique et commercialise des vêtements pour enfants de zéro à dix ans. « Chaque projet est placé sous le signe de l’acronyme ASAP, qui signifie As Sustainable As Possible », explique Rudi Maes. « Chez nous, ce concept est indissociable de la notion de confort, d’honnêteté et de prix abordable. Grâce à nos initiatives circulaires, nous franchissons une étape supplémentaire. En tant que fabricant de vêtements pour enfants, notre responsabilité est de faire en sorte que les enfants puissent grandir sur une planète saine. »

« La qualité a toujours été notre objectif prioritaire », souligne Rudi Maes. « Dans cette optique, les vêtements pour enfants que nous fabriquons et commercialisons sont, depuis le début, durables. Nos produits ont une durée de vie supérieure à leur période d’utilisation. À cette fin, ils s’appuient sur trois piliers essentiels : être à l’épreuve de la mode (fashion proof), du jeu (play proof) et du temps (future proof). Pour y parvenir, nous contrôlons l’ensemble de la chaîne de valeur : de la conception du produit à la création des tissus, en passant par la mise au point des patrons, l’élaboration des collections et l’achat des matières premières et des accessoires. Nous réalisons également nous-mêmes les prototypes, ce qui nous permet d’apporter immédiatement les retouches nécessaires. Les seules tâches que nous n’effectuons pas sont la couture et le montage. Ces opérations sont sous-traitées en Tunisie où officient de nombreux spécialistes en la matière. Quant au contrôle de qualité, il est effectué en interne : nous procédons à des tests d’usure, réalisons des gradations et veillons à ce que les tailles correspondent à l’âge voulu. »

Fan de la première heure, je témoigne qu’il s’agit d’une collection durable. Nos deux plus jeunes fils ont souvent porté les vêtements de leur frère aîné. À l’exception toutefois des pantalons, car nos enfants sont de véritables petits filous

« Pas encore, mais nous sommes prêts à l’envisager. Nous pourrions par exemple utiliser les chutes de tissu pour fabriquer des genouillères et limiter ainsi le gaspillage. Cependant, offrir d’office des renforts aux genoux avec nos pantalons pourrait entraîner un coût supplémentaire. Peut-être serait-il préférable de fournir une genouillère abordable en termes de prix, pour réparer un éventuel accident. Nous considérons que notre mission est de faire évoluer notre marque de vêtements pour enfants d’un modèle linéaire vers un modèle circulaire. Par conséquent, nous devons aussi réfléchir à la fin de la chaîne. Comment faire en sorte qu’un vêtement porté ne termine pas sa vie à la poubelle, mais qu’il puisse être réparé ou bénéficier d’une seconde vie ? C’est là que nous pouvons faire toute la différence. »

Rudi Maes, CEO Filou & Friends
Comment remettez-vous en circulation des vêtements qui ont été portés ?

« Notamment par le biais de notre marque de vêtements de seconde main Filou Forever. L’an dernier, diverses campagnes de récupération nous ont permis de collecter quelque 10 000 vêtements usagés. Dans un premier temps, nous les avons vendus dans un magasin éphémère aménagé dans un local de notre siège social à Marke et, par la suite, dans différents points de vente Filou & Friends un peu partout en Flandre. Fin novembre, nous avons délibérément choisi le Black Friday pour lancer nos ventes en ligne. Mi-mars 2023, nous avions donné une nouvelle vie à quelque 7 000 vêtements, ce dont nous sommes particulièrement fiers. »

« Notre mission est de faire évoluer notre marque de vêtements pour enfants d’un modèle linéaire vers un modèle circulaire »
Rudi Maes
Filou Forever n’est pas votre première initiative circulaire. Parlez-nous de votre collaboration avec Yuma Labs et HNST.

« Selon moi, évoluer d’une économie linéaire vers une économie circulaire n’est possible que si les entreprises concernées travaillent main dans la main. Cette observation est également valable pour le secteur textile. L’an dernier, en partenariat avec la marque belge de jeans durables HNST (qui se prononce Honest, NDLR), nous avons lancé une collection circulaire de jeans pour enfants. Cette collection comprend des pantalons, des chemises et des salopettes fabriqués à partir de vieux jeans et de matériaux renouvelables qui, à leur tour, sont entièrement recyclables. Nous avons également noué un partenariat avec la marque de lunettes de soleil Yuma Labs. Les lunettes de soleil pour enfants issues de cette collaboration sont fabriquées à partir de filets de pêche 100 % recyclés. Une fois arrivées en fin de vie, les lunettes sont entièrement recyclables. »

Avez-vous d’autres projets d’économie circulaire en vue ?

« Absolument. Nous sommes ouverts à tout type de modèle économique. Comment appliquer des concepts tels que la location, la réparation, le recyclage et l’upcycling ? Que peuvent nous apporter ces modèles économiques ? »

L’entreprise Patagonia parcourt les routes avec son atelier de réparation mobile baptisé Worn Wear Truck. Le concept de réparation est-il compatible avec les salaires horaires en vigueur en Belgique ?

« C’est loin d’être évident. Il ne suffit pas de vouloir calquer un concept. Il faut l’intégrer dans notre démarche d’excellence opérationnelle. La différence peut venir d’infimes détails, ainsi que d’initiatives ou de projets d’envergure limitée. La collecte et la valorisation constituent également une piste. Quoi ou comment, nous ne le savons pas encore. Nous n’écartons aucune éventualité. »

Votre entreprise s’inscrit aussi dans un modèle de rentabilité, avec les responsabilités que cela implique.

« C’est pourquoi je parle de mission. J’espère pouvoir dire plus tard qu’il est parfaitement possible de passer d’une production linéaire à une production circulaire tout en maintenant un modèle rentable. Certes, cela demande beaucoup de temps et d’énergie. Qui plus est, le secteur de la mode traverse une passe difficile. Il faut une bonne dose de courage pour maintenir le cap et mener à bien une stratégie claire, dans le cadre de cette immense mission. La voie que nous suivons peut être semée d’imprévus et il peut nous arriver d’en dévier. Quoi qu’il en soit, nous nous efforçons de respecter nos objectifs, sans rien forcer. C’est aussi cela entreprendre. »

Filou & Friends occupe plus de 70 travailleurs. Comment les avez-vous ralliés à votre projet d’économie circulaire ?

« Avant de lancer Filou Forever, nous organisions des ateliers sur le thème des Objectifs de Développement Durable (ODD). Du département logistique au personnel de magasin, tous nos collaborateurs étaient impliqués dans cette démarche. Au début, nous avons dû faire face à pas mal de réticences. Les gens se posaient beaucoup de questions. “Comment organiser une campagne de récupération dans mon magasin ? Je n’ai ni le temps ni la place. Comment gérer la récupération de vêtements tout en continuant à servir mes clients ?” Il s’agissait toutefois de réactions instinctives. En participant aux ateliers, nos collaborateurs se sont mis à réfléchir. Après avoir vertement critiqué le projet, une collaboratrice a fini par demander comment elle pouvait contribuer au succès de notre mission. Le premier test de récupération a eu lieu à Gand, où le responsable de magasin a immédiatement adhéré au projet. Gand est la ville idéale pour ce genre d’initiatives. Ce fut une réussite immédiate qui a fait l’objet d’une ample communication au sein de notre entreprise. D’autres tests basés sur le même principe ont eu lieu dans les autres chefs-lieux de provinces. Avec, à la clé, de nouveaux chiffres à partager et à communiquer en interne. C’est ainsi que l’on emporte l’adhésion de tous. »

Le consommateur se sent-il déjà concerné ?

« Je suis persuadé que le consommateur adhérera sans compter. Il ne saurait en être autrement. Cela peut prendre un certain temps, mais c’est inéluctable. Notre groupe cible est certes limité par l’âge, mais les jeunes générations se succèdent sans discontinuer. Celles-ci ont déjà pris conscience du problème ou y viendront. Nous ne pouvons pas continuer à nous comporter comme nous le faisons. Nous devons aborder les problèmes différemment et nous devons le faire ensemble. Nous impliquons toutes les parties prenantes dans notre projet d’économie circulaire, y compris nos clients. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que les vêtements de leurs enfants reçoivent une deuxième, voire une troisième vie. En matière d’économie circulaire, l’information est essentielle. De nombreuses personnes nous ont dit ne pas être au courant et nous encouragent à faire plus de publicité. Nous allons donc être obligés de nous départir de la légendaire modestie des entrepreneurs de Flandre occidentale (rires). »

Les Ouest-Flandriens ne sont-ils pas d’abord persévérants et volontaires ?

« Notre vision de l’avenir ne consiste pas uniquement à poursuivre notre activité, mais surtout à l’améliorer. Réfléchir et œuvrer à long terme, tel est notre objectif. En collaboration avec nos partenaires, nous souhaitons faire la différence et ensuite partager notre méthodologie. En tant qu’entrepreneur, cela décuple mon énergie. Il ne s’agit plus seulement de gérer les affaires courantes. Je suis aujourd’hui mu par une forte conviction. La conviction que cette mission est capitale. Et quoi de plus formidable que d’atteindre votre objectif et de partager votre enthousiasme avec d’autres ? »